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questions la uneUne récente émission de la RTBF (Questions à la une du 9 mai 2012), a évoqué le mécanisme de la tabelle, pudiquement dénommée "mark up" par ceux qui la pratiquent, et qui consiste à augmenter les prix de certains livres français dès qu'ils passent la frontière belge. Mais quelle frontière, puisque l'Europe les a abolies en matière de commerce ?
En préparant l'émission, l'équipe de la RTBF est passée chez Graffiti pour en savoir plus, et notre bref passage sur antenne mérite qu'on revienne sur la question. Car les enjeux sont importants, à l'heure où le secteur du livre ne se porte pas très bien, et où l'économie des librairies est précaire.


Ne croyez pas que c'est compliqué ! Suivez le raisonnement.
Pour rappel, la "tabelle" est pratiquée essentiellement pas les deux plus importants groupes éditoriaux français, Hachette et Editis-Interforum, qui représentent, à eux deux, entre 40 et 50% de l'édition générale, et qui ont installé des filiales sur le territoire belge (Hachette à Alleur, Interforum à Louvain-la-Neuve). Ces filiales "tabellisent" (entre 5 et 17% d'augmentation !) les ouvrages des éditeurs qu'elles représentent. Mais en même temps elles n'appliquent pas de tabelle sur d'autres livres, ceux d'éditeurs qui ne leur appartiennent pas, mais qui leur ont simplement confié leur distribution "logistique" en Belgique (par exemple l'Ecole des Loisirs, Pearson, Le Cerf...). Pourquoi cette différence ? Parce que ces derniers éditeurs accordent à ces plateformes une marge suffisante pour le faire. Ce qui laisse supposer que pour leurs propres éditeurs, la maison mère française ne leur accorde pas les mêmes conditions, faisant remonter directement vers la France ce que le consommateur belge paie en plus. On peut le supposer..., et si c'est le cas, on sait que cela fait beaucoup d'euros.

Mais tout le monde sait aussi que l'Histoire est en marche, et que cette tabelle sera inéluctablement frappée d'obsolescence. Quand ? C'est simple : le jour où les plateformes ne couvriront plus le gain qu'elles dégagent, notamment en vendant moins de livres, en raison de la crise économique, et bien sûr du développement de la vente en ligne, à partir des grands sites internationaux. On estime que ces nouveaux acteurs privent déjà le secteur traditionnel ("physique") de 15% des ventes. Pourquoi en effet acheter "Tuer le père" d'Amélie Nothomb à 17,95 euros, alors qu'installé au Luxembourg, avec une Tva à 3% (contre 7 en France et 6 en Belgique), et pratiquant le franco de port, Amazon le vend à 15,39 euros ?

Nous sommes farouchement opposés à la tabelle. Elle doit disparaître.Elle ne trouve plus de réelle justification, elle grève le portefeuille du lecteur belge, et aux yeux de ce lecteur, rend suspect le libraire. Mais on ne joue pas avec le feu. Elle fait aussi partie de l'économie du secteur, et la modifier ou la supprimer drastiquement aura des conséquences sur tous les acteurs de la diffusion. Et essentiellement sur les librairies, dont on connaît le très faible taux de rentabilité, un des plus faibles du commerce.
C'est pourquoi, et notre combat ne date pas d'hier, nous militons pour une négociation avec les éditeurs. La tabelle doit disparaître, mais cela ne peut se faire que de façon progressive, mesurée dans le temps, comme les libraires indépendants l'ont fait en 2002, lors de l'introduction de l'Euro, pour les éditeurs qui leur permettent d'acheter directement en France (Gallimard, Flammarion, Le Seuil, Actes Sud, etc...). Et pourquoi pas suivant un mécanisme de lissage, comme l'ont fait la Flandre et les Pays-Bas en son temps ? Il suffirait aux éditeurs français d'englober le marché belge (5 à 6% de leur chiffre d'affaires) dans leur périmètre et d'ajuster les prix en conséquence. Car dans la logique du prix fixe ou du prix conseillé, approuvée par toute la profession, c'est l'éditeur qui est responsable des marges de ses clients. Responsable donc...

Mais nous ne sommes pas entendus, depuis les nombreuses années où nous avons tenté de porter le débat. Et demain, si les choses ne sont pas pensées, le pire n'est plus à exclure : le risque d'une explosion en vol pour une série de librairies, qui auraient du mal à survivre à ce nouveau coup.
Oui, vraiment, la tabelle ? Une bombe à retardement...

Philippe Goffe

Le reportage de l'émission "Questions à la une" de la RTBF, le 9 mai 2012

Une prise de position d'auteurs belges

 Best wishes 2012 from Graffiti
Independent bookstore for independent thinking

indiebound
C'est ainsi que Graffiti présente ses bons voeux 2012 à ses amis et ses clients.
Et une fois n'est pas coutume, c'est à nos conrfères américains, libraires indépendants, que nous avons emprunté ce beau slogan.
Ainsi qu'ils le disent, il ne faut pas être très perspicace pour constater que les chaînes de librairie se ressemblent toutes, qu'elles soient à New York, San Francisco ou Dallas. Il en est de même chez nous, à Bruxelles, Namur, Wavre ou Waterloo.

JM RobertsLe journal Le Soir vient d’organiser (le 18 août) un chat avec ses lecteurs sur le thème « Faut-il interdire la vente en ligne de livres ? ». Le prétexte en était les propos tenus par Jean-Marc Roberts, patron des Editions Stock (filiale du groupe Hachette), lors d’un entretien sur Europe 1. Evoquant les difficultés rencontrées par les marchés du disque et du cinéma à l’ère d’Internet et du piratage, il déclarait : “J’espère que ça n’arrivera pas pour le livre mais je vous avoue mon inquiétude, certains libraires sont en danger de mort”“Il y a 30 ans, on s’est battu pour le prix unique (du livre). Aujourd’hui, il faut se battre pour le lieu unique. Le lieu unique, c’est la librairie, ce n’est pas la vente en ligne. La vente en ligne, c’est ce qui va détourner peu à peu le vrai lecteur de son libraire et de la littérature.”

Inutile de dire que la réaction des internautes a été quasi unanime pour dénoncer une idée qui, en effet, ne tient pas fort la route. S’il est absurde de vouloir interdire la liberté d’expression et d’accès au savoir que procure Internet, s’il est vain de dénoncer ou de nier les nouveaux modes de consommation générés par le net, il est cependant possible d’aller au-delà de ces réactions légitimes mais finalement assez attendues et… conformes au nouveau "politiquement correct". Je ne sais si Jean-Marc Roberts a voulu faire de la provoc’, mais ce qui est sûr, c’est qu’il a voulu pointer un réel problème qui se pose aujourd’hui au marché du livre, et plus spécialement aux éditeurs et à la librairie indépendante.

Le livre a traversé assez honorablement la crise financière des années 2008 et 2009, mais on savait que son économie est « contra-cyclique ». L’effet retard est bien présent aujourd’hui. Le magazine professionnel Livres-Hebdo citait récemment quelques chiffres : « la baisse des ventes se poursuit en avril (…) le marché du livre régresse de 2% en euros courants par rapport à la même période de l’année précédente (…) Le recul est proche de 4,5% en données corrigées des jours ouvrables. La baisse de l’activité est également de 4,5%en volume. »

Ce qui inquiète en fait, c’est que cette baisse de régime dure et semble connaître d’autres facteurs d’aggravation que la crise, parmi lesquels certainement l’usage et les pratiques d’Internet. Mais, dirons-nous, si les ventes en ligne compensent (ce qui n’est pas le cas, précisons-le) les moindres ventes dans le commerce « bricks and mortar» comme disent les Américains, de quoi les éditeurs se plaignent-ils ?

C’est ici que le cri d’alarme de Jean-Marc Roberts trouve sa pertinence. L’économie du livre est particulière. Comme tout marché de création, c’est un marché deinternet marketing l’offre. Les produits offerts au public excèdent la demande. Et tout le marketing du monde (et Dieu sait s’il est présent aujourd’hui dans les pratiques commerciales des éditeurs !) ne générera jamais le Proust, le Le Clezio, le Kundera ou le (choisissez…) de demain. Un marché a besoin d’être structuré. Comme les auteurs, malgré ce qu’en pensent certains, ont besoin d’éditeurs, les éditeurs de création ont besoin de libraires : pour accepter leur production, souvent marquée par l’incertitude, la mettre en scène, et si possible la défendre. Internet peut aussi le faire ? Certainement, mais à une autre échelle. L’important c’est le rôle de relais que joue le libraire, en dehors des autoroutes que sont les grandes surfaces, culturelles ou pas, ou les géants de la vente en ligne, qui de toute façon, se comptent sur les doigts de la main. Internet est un océan, tout le monde peut y inscrire ses œuvres, c’est génial, mais il y aura peu d’élus, sauf à céder aux sirènes du marketing que dénoncent précisément les internautes du Soir lorsqu’ils parlent de la rentrée littéraire. Amazon vous procure tous les livres de la planète ? Mais il n’y a qu’un Amazon. Amazon vous conseille vos lectures ? Mais c’est un robot qui vous les calcule.

Ce que Jean-Marc Roberts dit, de façon provocante (il s'en est expliqué depuis), c’est que le livre a besoin de relais, libres comme libraires, indépendants, et surtout diversifiés. Comme le disent certains professionnels du livre, la librairie est un de ces lieux, plutôt rares de nos jours, où l'on trouve ce qu'on ne cherche pas. Et où la relation au livre trouve à s'incarner. Finalement, la question d’Internet, pourrait n'être que subsidiaire, si elle ne posait cette autre question, le rôle essentiel, et donc l'existence, de la librairie indépendante dans l'économie de la création. Et on ne parle pas ici du numérique, sur lequel il y aura bien d’autres choses à dire. lelivrequefaireMais le modèle économique qui structurera un nouvel équilibre dans le secteur du livre est encore en gestation, et d'ici là les commentaires seront encore nombreux…

En France, les pouvoirs publics se sont associés aux libraires et aux éditeurs, pour lancer une campagne publicitaire sur le thème
Les librairies sont vivantes, elles le resteront avec vous.

Ou comme disent les libraires indépendants américains, qui ne sont plus très nombreux, on s’en doute : Independent booksellers for independent minds.

Pour en savoir plus sur ces questions, quelques liens intéressants :

http://www.xerfi.fr/Newsletter/xerfiactiv/Live/xerfi_secteur-et-marche_alexandre-boulegue_librairie.html
http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20110727.OBS7748/un-monde-sans-libraires.html
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/07/27/le-chiffre-d-affaires-d-amazon-croit-de-plus-de-50_1553186_651865.html#xtor=EPR-32280229-[NL_Titresdujour]-20110727-[deroule]