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ferrariAlger, 1957, veille de la Bataille dite d’Alger de sinistre mémoire. Les militaires français ont pleins pouvoirs, remplacent la police et instaurent la torture comme méthode d’interrogatoire. Jérôme Ferrari construit un huis clos entre un lieutenant, son capitaine, et un chef du FNL arrêté. Le livre s’ouvre par une accusation, « Je me souviens de vous, , mon capitaine, je m’en souviens très bien, et je revois encore distinctement la nuit de désarroi et d’abandon tomber sur vos yeux quand je vous ai appris qu’il s’était pendu. » Le lieutenant accuse son capitaine, son frère d’armes, d’avoir voulu prendre de la hauteur, d’avoir cru qu’il valait mieux que ses hommes, et d’avoir cherché la fraternité auprès d’un ennemi, plutôt qu’auprès des siens, de les avoir trahis par ses états d’âme… Jérôme Ferrari donne-là un livre admirable, une interrogation sur le Mal. Comment vivre en adéquation avec soi et avec l’Histoire est la question qui traverse ce livre de douleur et de rédemption. Peut-on servir une cause, juste, injuste, sans se perdre, se sauver de soi-même et survivre à la haine de soi ? Le style, la profondeur de ce livre qui ose sonder la part obscure de l’homme, nous rappelle la grandeur de l’œuvre de Dostoïevski. Pas moins.

De Jérôme Ferrari, vient de sortir en poche (Babel), Dans le secret, roman sur la filiation et la mémoire, publié en 2007. Rappelons aussi, toujours chez Actes Sud, son magnifique Un dieu un animal.

Jérôme Ferrari : Où j’ai laissé mon âme, Actes Sud, 2010, 17€

La loi de l'économie« Acheter du blé, c’est bien ; en gagner, c’est mieux ! » Voilà le crédo du personnage central de ce roman, à la fois conte moral aux dialogues désopilants et satire sociale à l’ironie féroce n’épargnant rien ni personne. Julien est un trader à l’abri. Du moins le croit-il. Avec son salaire annuel à sept chiffres, il n’a pas à se plaindre: un appartement luxueux à deux pas du Palais Royal, deux beaux enfants, une femme superbe. Leur voisin Cortès, metteur en scène haineux envers l’argent croise bientôt cette Italienne racée à l’oedipe mal résolu et ne tarde pas à lui proposer le rôle principal de sa prochaine pièce centrée sur l’amitié « bloomsburryesque » entre Virginia Woolf et John Maynard Keynes. On s’en doute, la faille n’est pas loin. Il suffira d’un rien, une erreur d’appréciation de Julien pour faire basculer le singulier trio dans le drame.

Tancrède Voituriez, Les lois de l’économie, Grasset,2010.

Entreprise des IndesOù l’on retrouve le Erik Orsenna de L’Exposition coloniale (prix Goncourt 1988), et son goût du gai savoir. L’amoureux de la mer, le cartographe du tendre, des sciences, des contrées lointaines conjugue ses plaisirs pour raconter l’aventure du Nouveau Monde. Vous ne le saviez pas ? Christophe Colomb avait un frère cartographe, aussi casanier et méticuleux que son aîné était baroudeur et approximatif. A la fin de sa vie, ce frère, nommé par Colomb vice-roi d’Hispania (l’actuel Saint Domingue) se confesse, sans beaucoup de contrition, auprès du prêtre Las Casas, défenseur des Indiens. La vérité et les mensonges se chevauchent dans ces pages au point que le lecteur se demande sans cesse où est le vrai ou est le faux. Ce qui semble le plus invraisemblable est souvent historiquement exact. La plume allègre d’Orsenna nous tend un miroir interpellant sur notre rapport au monde et cette mondialisation d’alors, parée des vices de la colonisation. A bon entendeur…

Erik Orsenna : L’entreprise des Indes, Stock/Fayard, 2010