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C’est avec plus de discrétion, mais sans perdre de son intérêt, que le phénomène littéraire des « Bienveillantes » revient dans l’actualité, en ce début d’année. D’abord par la publication de l’ouvrage en collection de poche (Folio), légèrement revu par l’auteur auquel certains critiques exigeants ou pointilleux avaient reproché quelques imprécisions. C’est un pavé de 1400 pages cette fois-ci, pour 12,90 euros, un prix encore plus abordable que l’édition originale, qui n’était déjà pas coûteuse (900 pages, 25 euros). C’est aussi une lecture confortable, la typographie et le papier de cette collection étant parfaits. Et c’est bien sûr le même grand livre, impressionnant, intelligent, et terriblement audacieux. Il fallait oser faire parler dans une fiction un bourreau nazi, et surtout le dépeindre comme un homme cultivé, réfléchi, nuancé, loin du portrait de la brute fanatique qu’il eût été plus facile de décrire. On a pu se demander néanmoins pourquoi Jonathan Littell avait fait de ce personnage somme toute ordinaire, comme le furent de très nombreux nazis, un être aux mœurs moins ordinaires, à la sexualité marquée par l’inceste et l’homosexualité.


On comprendra mieux cette question en lisant « Le sec et l’humide, « , le court livre que Littell vient de publier. Rédigé en grande partie avant Les Bienveillantes, à partir de ses recherches et de ses lectures, il est consacré à la figure du fasciste décrit comme le « pas-encore-complètement-né ». Le modèle en est le sinistre Léon Degrelle, au travers d’un ouvrage que celui-ci écrivit après sa fuite en Espagne en 1945, et intitulé « La campagne de Russie », plaidoyer pour un naufrage, puisque Degrelle combattit sur le front de l’Est, où l’armée allemande fut prise au piège des talents tactiques des Soviétiques.


« Le sec et l’humide » est un titre « lévi-straussien », et ce n’est pas un hasard, bien que Littell ne fasse pas allusion à l’anthropologue français (qui va bientôt fêter ses 100 ans), mais plutôt à Klaus Theweleit, un chercheur allemand qui publia en 1977 un ouvrage consacré à la structure mentale de la personnalité fasciste. Non abouti, ne possédant pas un Moi au sens freudien du terme, le fasciste se forge un « Moi extériorisé, qui prend l’allure d’une carapace, d’une armure musculaire ». Il ne tient que par l’école, l’armée, la prison, mais le sec en lui craint par dessus tout ce qui peut l’anéantir : l’humide, incarné par tout ce qui coule, le féminin et le liquide. La démonstration n’est pas absolue, Littell l’admet, mais elle est intéressante et elle convainc, par l’éclairage qu’elle apporte à ce mystère de la condition humaine qu’est la coexistence chez un même individu d’une apparence ordinaire avec le fanatisme le plus inhumain.

Le sec et l’humide, Gallimard, collection L’arbalète, 143p, € 15,50
Les bienveillantes, Gallimard, collection Folio, 1403p, € 12,90