Deux livres de fils orphelins d’un père, l’un de François Emmanuel, l’autre de José Luis Peixoto, bouleversent tout ce qu’on a déjà pu lire sur le sujet.
De cette mélopée si particulière, qui est la sienne, François Emmanuel tisse un chant au défunt qui l’accompagne. C'est « Avant le passage » (Actes Sud) . Un homme, père, mari, est couché dans un lit d’hôpital pour ses derniers instants. Autour de lui, ses femmes, épouses et filles, chuchotent avec le médecin. Le voyant rouge du moniteur de contrôle, clignote. Semi-conscience, le mourant sombre dans le rêve, rejoint le fond des âges, s’avance sur le chemin vers l’Hadès, précédé par une lueur rouge elle aussi, qui vacille dans la main de celle qui l’y emmène. Parque ou épouse, mère ou inconnue ? Insérés, en italique, les réminiscences du dormeur, se fondent à la réalité et aux images qui surgissent dans son esprit morphinique. François Emmanuel compose un dernier chant profond, antique, feutré, somptueux comme une étoffe qui ne serait pas linceul mais douceur du vivre qui se délite . C’est bien de douceur, d’amour et de lumière dont il est question ici, dans les non-dit qui sourdent en ultime cadeau de celui qui s’en va, à ceux qui restent.
Dans « La mort du père » (Grasset), José Luis Peixoto, écrivain portugais salué par Saramago, met ses pas dans celui du disparu.
Au volant de la voiture, dans laquelle son père lui a appris à se diriger, dans les gestes empruntés à celui qui ouvrait la porte de la maison ou du potager, le fils retrouve l’ordonnance dissoute. Car tout, du village natal, aux visages connus, sont soudain lointains, recouverts de la « fine lumière » du souvenir qui se dépose sur le visage du fils. Dans la langue précise du poète, dont chaque mot dans leur simplicité même, émeut, José Luis Peixoto rassemble les faits menus, ténus de l’amour familial, jusqu’à ce nom de « Papa », déposé au milieu de la phrase, hagard et familier, qui à lui seul dit tout.