Toute l’œuvre de Jean-Claude Grumberg, auteur dramatique (« L’Atelier ») et scénariste pour Costa-Gavras (« Amen ») ne tourne qu’autour de cela. Qu’est-ce qu’être juif quand on est parigot, préférant la tête de veau pressée à la carpe farcie, que pour vous l’hébreu c’est du chinois et qu’on est un athée endurci ?
Ses derniers textes( « Si ça va, bravo », « Votre maman ») sont à lire comme des sketches, des variations sur le thème de l’identité et de la mémoire. Son registre est le tragicomique, très comique, en s’excusant d’être tragique. Comment pourrait-il en être autrement, lui dont la grand-mère eut la vie sauve parce qu’elle avait fait sous elle, et que la police de Vichy avait le nez délicat…
« Pour en finir avec la question juive », confronte deux voisins de palier dans leur cage d’escalier. « Vous êtes juif ? » demande l’un à l’autre, avant un développement aussi génial qu’inattendu. C’est Levinas raconté par les Frères Ennemis. Les humoristes, pas Caïn et Abel, quoique… Un exercice d’intelligence et de vigilance de haut vol, à se tordre de rire.
Jean-Claude Grumbert : Pour en finir avec la question juive, Actes Sud.
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Deux livres de fils orphelins d’un père, l’un de François Emmanuel, l’autre de José Luis Peixoto, bouleversent tout ce qu’on a déjà pu lire sur le sujet.
De cette mélopée si particulière, qui est la sienne, François Emmanuel tisse un chant au défunt qui l’accompagne. C'est « Avant le passage » (Actes Sud) . Un homme, père, mari, est couché dans un lit d’hôpital pour ses derniers instants. Autour de lui, ses femmes, épouses et filles, chuchotent avec le médecin. Le voyant rouge du moniteur de contrôle, clignote. Semi-conscience, le mourant sombre dans le rêve, rejoint le fond des âges, s’avance sur le chemin vers l’Hadès, précédé par une lueur rouge elle aussi, qui vacille dans la main de celle qui l’y emmène. Parque ou épouse, mère ou inconnue ? Insérés, en italique, les réminiscences du dormeur, se fondent à la réalité et aux images qui surgissent dans son esprit morphinique. François Emmanuel compose un dernier chant profond, antique, feutré, somptueux comme une étoffe qui ne serait pas linceul mais douceur du vivre qui se délite . C’est bien de douceur, d’amour et de lumière dont il est question ici, dans les non-dit qui sourdent en ultime cadeau de celui qui s’en va, à ceux qui restent.
Dans « La mort du père » (Grasset), José Luis Peixoto, écrivain portugais salué par Saramago, met ses pas dans celui du disparu.
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Dans la pure tradition des romans gothiques, Miriam et Ezra Elia ont imaginé un journal à quatre mains, celui retrouvé dans la cage abandonnée de leur hamster neurasthénique. Minuscule, dans la paille, se trouvait le journal intime de sa courte vie. Manger, dormir, faire de la roue, était la question. Cela suffit-il à composer une vie, à justifier la monotonie, la solitude, l’espérance ? On peut varier bien sûr, ce qu’il fait, et décider dans un geste de radicale liberté, de « ne pas faire de roue ». Mais jusqu’à quand ?
Hautement philosophique, merveilleusement dessiné en noir et blanc, ce petit livre en forme de méditation est à ranger de toute urgence, entre Desproges et Schopenhauer. Ne constatait-il pas lui aussi, que la vie est souffrance, et que si la solitude est le gage de la liberté elle l’est aussi de l’ennui ? Ennui trompé par les annotations existentielles, tragicomiques- très comiques- de ce rongeur morose, égotique, qui trompe son aspiration à une existence digne de ce nom, et au libre arbitre, par des occupations grégaires. Faut-il ajouter qu’Edward nous ressemble beaucoup ?
Mirial Elia : Le journal d'Edward, hamster nihiliste : 1990-1990, traduit de l'anglais par Rose labourie, Flammarion, 2013, 96p.
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Le roman commence dans la nuit. Kazehiro, qui se fera bientôt appeler Kaze pour dissimuler son identité, part de chez lui, décidé à disparaître, à "s'évaporer" comme on dit là-bas.
Là-bas, c'est le Japon, et c'est probablement le vrai sujet de ce texte évocateur en clair-obscur. La fille de Kaze se lance à sa recherche, épaulée par un ex plus poète que détective, Richard. Kaze fait lui-même la rencontre de Akainu, enfant des rues rescapé de Fukushima. Le lecteur suit ces deux fils avec beaucoup de plaisir, en même temps que l'auteur intercale des chapitres qui sont souvent rêvés par un des personnages, sur le Pays du Soleil levant. Un voile est ainsi levé sur la réalité japonaise, comme sur les motivations de Kaze, mais en partie seulement... L'auteur, lui-même, confessant que "cette civilisation (lui) demeure encore, à bien des égards, étrangère".
Au Japon, on ne recherche pas les évaporés.
Thomas B. Reverdy, Les Evaporés, Flammarion, 2013, 19 euros.
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